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L’IMPOSTURE

qu’on réveille à deux heures du matin… Fut-ce pour une autre raison plus profonde et plus urgente ? Il n’eût su le dire, et ne s’en soucia jamais plus. Il vivait déjà dans son rêve, et de ce rêve il ne devait attendre nul merci.

C’est avec un calme apparent qu’il décrocha le récepteur du téléphone. L’abbé Chevance habitait une petite chambre au dernier étage de l’hôtel Saint-Étienne, rue Vide-Gousset. Il chercha le numéro sur l’annuaire. Le veilleur, tiré de son somme, d’ailleurs ahuri par une démarche aussi tardive, se fit répéter trois fois la consigne : — « Veuillez prier l’abbé Chevance de venir ici d’urgence, chez moi, pour une affaire grave. » — « Un malade ? » demandait l’autre… — « Un mourant, » répondit l’abbé Cénabre, posément.

L’auteur de la Vie de Tauler a connu l’abbé Chevance au petit séminaire de Nancy. De quinze ans plus âgé que l’illustre historien, il était alors second surveillant à la division des petits. Leurs relations furent banales, mais elles ne devaient jamais être tout à fait rompues. En 19…, le curé de Costerel dut quitter le diocèse de Verdun après une manière de scandale dont les journaux radicaux tirèrent habilement parti. L’innocent s’était avisé de réciter les prières de l’exorcisme sur la tête d’une fille devenue démente, et la terreur de deux villages. On doit dire néanmoins à sa décharge qu’il avait été procédé à la cérémonie le plus discrètement possible, sur la demande d’un oncle de la pauvrette, le seul parent qui lui restât, ancien bedeau de Notre-Dame de Grâce, à Lérouville. Malheureusement pour le desservant de