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L’IMPOSTURE

lucidité. Son désir fut d’ailleurs si vif de voir jusqu’au fond de sa honte qu’il fixa la glace à la hauteur de ses yeux, chercha son regard.

Il le vit, et en même temps cessa de se défendre, se livra. Le regard, dans le visage convulsé, demeurait clair, attentif, et même — il l’eût juré — railleur. « Tu mens, disait-il, tu mens, tu mens ! » Il ne disait que cela, mais l’âme soulevée, comme tirée hors d’elle-même (ainsi que l’orchestre un moment suspendu à la première note répétée du thème, plonge tout à coup sur elle dans le déchaînement de ses cuivres), l’âme reprenait avec une force accrue : « Il a raison : tu mens ! Tu te joues une comédie sacrilège. Il n’est pas vrai que tu aies perdu Dieu. Et d’ailleurs tu n’en sentirais pas plus la perte que tu n’en as senti le besoin. Tu es aujourd’hui ce que tu étais hier. Si ta chair tremble, c’est de froid. Seulement tu voudrais bien croire qu’un homme tel que toi ne cède qu’à des épreuves faites pour lui, à sa mesure. Il n’est pas possible que Dieu meure en toi sans cérémonie, sans éclairs et sans tonnerre. »

De connaître avec certitude l’inanité, la simulation de sa détresse portait le dernier coup, tranchait le dernier lien du présent au passé, le laissait dans le vide. La foi s’était évanouie comme si elle n’avait jamais été. Il se retrouvait à cet instant comme s’il n’avait jamais vécu. Que n’eût-il donné pour sentir une résistance, un déchirement, fût-il le plus douloureux, n’importe quoi d’autre que la dissipation silencieuse de l’être qu’il avait cru réel, maintenant évanoui, et remplacé par rien !… Mais le silence surnaturel semblait scellé sur lui, pour toujours.