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L’IMPOSTURE

contre l’objet même de son étude, les hommes simples, dont la simplicité l’avait trahi.

Dans le silence, il entendait sonner son cœur dans sa poitrine, et l’irrégularité des pulsations le frappa. « Je ne voudrais pas vieillir, pensait-il, sans avoir donné ma mesure, m’être imposé. » Car il en était à n’avoir plus qu’indifférence pour le public dont l’aveugle adulation l’avait poussé si haut — public à l’affût d’un déclassement inédit, d’un nouvel aspect du déclassement — race étrange qui se satisfait seulement des formes les plus fugitives, les plus instables de l’erreur, pour ainsi dire à l’état naissant, et qui la délaisse sitôt formée, passionnée pour le suspect, indifférente ou cruelle au renégat.

Il en était à ce point de la rêverie où certains mots se formulent parfois d’eux-mêmes, rompent violemment le cours de la pensée, comme issus des profondeurs de l’être… Renégat fut un de ces mots. Et le choc en fut si rude que les lèvres de l’abbé Cénabre le prononcèrent à son insu.

Il essaya de sourire ; il sourit même. Pour lui ce mot démodé n’exprimait encore, à cet instant, rien de clair. Comment s’est-il trouvé dans sa bouche ? Sans doute peu de livres ont été plus sévèrement critiqués que les siens, passés au crible… mais il est sauf. Les pires censeurs n’incriminent plus que les tendances d’une œuvre où leur malignité n’a rien dénoncé de condamnable. Qui peut le troubler lui-même ? Au regard du plus exigeant, il est sans reproche. Non content de rester fidèle aux grands devoirs, il s’est attaché à respecter scrupuleusement les petits, soucieux de rien innover, de ne troubler en rien l’ordonnance, le règle-