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L’IMPOSTURE

rences familières, il s’attachait à ce lambeau de vie ainsi qu’un équipage à la dérive fixe la rive immobile et décroissante, et déjà la pensée chassait sur ses ancres.

Il s’agenouilla, pria comme à l’ordinaire. Jamais jusqu’alors ce prêtre notoirement suspect n’avait manqué de remplir à la lettre certains devoirs de son état, et la prière est un de ces devoirs, car il se plie aisément à une discipline extérieure, à une contrainte matérielle, il y trouve un indispensable appui, une sûreté contre un désordre profond qui l’entraînerait au delà de l’équivoque où sa nature se plaît. Ce soir encore il prononce avec lenteur, il récite tout au long la prière habituelle, correctement. Puis, il se glissa dans ses draps, et ferma les yeux.

Aussitôt, la pensée lui vint d’en finir une fois pour toutes avec le doute anxieux qu’il étouffait depuis des semaines, et il essaya de le formuler. D’ailleurs, sa nature fut plus forte, et il se travaillait encore inconsciemment pour rentrer dans une de ces catégories familières où il avait accoutumé de classer les esprits. À son sens, la parfaite dignité de sa vie rendait improbable, invraisemblable même, une crise morale : « Je me suis simplement engagé dans une impasse, songeait-il… Mon œuvre est à peine abordée : on ne se passe pas éternellement de doctrine. Il y a une doctrine à tirer de mes livres. J’éprouve seulement, jusqu’à la douleur, le besoin de me rassembler. »

Il expliquait ainsi son dégoût grandissant des derniers mois, le travail irrégulier, le sentiment si vif d’un effort gâché, d’une pensée qui tourne court, et aussi sa rancune obscure, chaque jour plus forte,