-torpeur que dissipera soudain le coup de tonnerre de l’angoisse, l’angoisse, forme hideuse et corporelle du remords. Vous vous réveillerez dans le désespoir qu’aucun repentir ne rédime, car à cet instant même expire votre âme. C’est alors qu’un malheureux écrase d’une balle un cerveau qui ne lui sert plus qu’à souffrir.
Quelques-uns des lecteurs de l’abbé Cénabre parmi ceux qu’il irrite, que sa gentillesse, son goût de plaire n’ont point désarmés, recherchent dans ses derniers livres, avec clairvoyance, cet accent singulier, douloureux qui semble marquer une blessure de l’orgueil, un doute de soi. L’ironie, toujours un peu pédante, grince maintenant. Peut-être échappe-t-elle au contrôle de l’auteur ? Jadis asservie au texte, alignée, elle le déborde parfois, pousse au dehors un coup furieux, reprend sa place avec contrainte… L’art, ou plutôt la formule heureuse de l’auteur, exploitée à fond, peut se définir ainsi : écrire de la sainteté comme si la charité n’était pas. L’homme Renan, de qui le blasphème est toujours un peu scolaire, s’est contenté d’une simple transposition d’un ordre à l’autre, insérant l’être miraculeux dans un univers sans miracles, charge facile, dont sa vanité n’a jamais perçu le comique énorme. Pour celui qui sait lire, la Vie de Jésus est un vaudeville, a tous les éléments d’un bon vaudeville, moins le naturel et la facilité. L’abbé Cénabre, lui, n’a jamais nié le miracle, et même il a le goût du miraculeux. Il n’approche les grandes âmes que dans un sentiment de vénération, et sa curiosité même a un tel élan qu’on la prendrait pour l’amour. Il lui est simplement donné d’imaginer un ordre spirituel découronné de la charité.