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L’IMPOSTURE

demeures transitoires, gardiennes seulement de nos os ?

L’abbé Cénabre s’était insensiblement rapproché de la fenêtre, comme si dans cette chambre obscure, le reflet douteux de la rue à travers les vitres, lui eût été un asile. Immobile dans la haute embrasure, les bras croisés sur la poitrine, on l’eût cru volontiers absorbé, quand toute son attention n’était tendue au contraire qu’à la rumeur triste du dehors. Sa dernière violence n’avait certes pas été un geste d’emportement : nul moins que lui n’était capable de ces distractions. La lumière l’avait offensé cruellement, tout à coup, comme le signe sensible, sur le mur et sur la croix, d’une illumination intérieure qu’il eût voulu étouffer, repousser dans la nuit, avec une énergie désespérée. L’une des marques des grandes convulsions de l’âme est de se retrouver dans les choses, de sorte que telle déception capitale, par exemple, reste inséparable du lieu et de l’heure — non pas seulement par une association matérielle, mais par une sorte de compénétration — comme si un certain accord de la vie profonde avait été faussé par le coup de bélier de la passion. D’ailleurs la brusque révolte du prêtre n’était qu’un geste de défense, tardif seulement. Et il était vrai que cette cellule, pavée de grès, ces murs, ces livres, cette croix nue étaient ennemis. Les témoins muets jusqu’alors, allaient sans doute poser la question à laquelle il ne voulait pas répondre… C’est pourquoi il les avait replongés dans l’ombre.

Méprise fatale ! Ce geste posait un autre problème, non moins urgent. Il marquait le terme d’une étape et plus encore le point de départ d’une autre route, terrible à suivre, inconnue. Un fou couve tranquille-