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L’IMPOSTURE

der le curé de Saint-Paul, ce matin, à cinq heures. Son vicaire de garde est venu vous donner l’extrême-onction. Mais il a promis de revenir lui-même, dès que vous auriez repris connaissance. Je puis le faire prévenir : notre voiture est à la porte.

— Non ! dit l’abbé Chevance.

— J’irai donc chercher qui vous voudrez, fit-elle sans oser élever la voix, n’importe où. Le docteur prendra ma place. J’ai déjà trop tardé à l’appeler.

Il la regarda, et son visage roidi reprit un moment son expression ancienne de candeur et d’humilité. Elle comprit qu’il lui donnait ce dernier regard, et qu’elle n’avait plus rien à lui demander en ce monde.

— Vous êtes un enfant, dit-il. C’est ma faute. Je l’étais aussi. Je dois entrer dans la mort comme un homme, un homme vraiment nu. Je ne suis même plus un pécheur, je ne suis rien qu’un homme, un homme nu. N’essayez pas de trouver un sens à tout ceci. Il n’est pas bon d’approcher trop près d’un moribond tel que moi. Arrachez-moi de votre cœur, ma fille, jetez-moi ainsi qu’Il m’a jeté lui-même, sans daigner se retourner encore une fois vers son serviteur humilié.

Elle le vit hésiter une seconde, comme s’il eût livré à regret, par force, une parole inintelligible pour tout autre, impossible à partager avec les vivants.

— Marie, dit-il, servante des mourants.

Puis il referma les yeux, et après avoir lentement, patiemment, rempli d’air sa poitrine, il reprit sans lever les paupières, avec une espèce de confusion qui fit monter un peu de sang à ses joues :

— Je voulais vous prier d’amener ici Monsieur… Monsieur l’abbé Cénabre, car je désirais recevoir une