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L’IMPOSTURE

monotone tour à tour aigu ou grave, mais il s’accéléra tout à coup, et les paroles en sortirent une à une, mêlées au barbotement des artères, dans les poumons noyés.

— Je ne veux pas… disait-il. Je ne veux pas… Je… ne… veux… pas…

— Quoi donc ? fit-elle.

— Je ne voudrais pas mourir, ma fille, reprit-il distinctement.

Elle baissa les mains, le regarda bien en face, avec une curiosité candide, plus terrible que le mépris. La voix n’était qu’un souffle, et elle en devina plutôt qu’elle n’en perçut l’extraordinaire âpreté. Dans le visage gris, une rougeur dessina un moment le relief des joues, puis s’effaça.

— Mon Dieu ! dit-elle naïvement, est-ce donc si difficile ? Je ne le croyais pas. Ils m’assuraient que vous ne souffririez plus, que la phase délirante était passée, que sais-je encore ? Si, si, je vous jure ! Une agonie très calme, très douce, très lucide, c’est ce qu’ils ont dit. Songez donc ! il ne faut qu’un peu de patience. Parlez-moi, cela vous aidera. J’ai l’oreille fine, souvenez-vous. Si vous remuez seulement les lèvres, je comprendrai. Pensez qu’ils peuvent entrer d’un moment à l’autre, et d’ailleurs, je devrai bien finir par les appeler : nous n’avons plus en ce monde, vous et moi, que ces pauvres petites minutes. Ai-je tort de vous les demander ? Êtes-vous fâché ?

Elle tenait dans le sien le regard du vieux prêtre, elle essayait de plonger jusqu’au fond. Mais elle n’y lisait toujours qu’une obstination inflexible, qui ressemblait à la stupeur. Alors, elle prit délicatement la main déjà raidie, la plaça doucement sur son front.