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L’IMPOSTURE

jusqu’à eux, recouvert aussitôt d’un murmure de voix. À chaque bouffée de vent, la bouilloire sifflait et crachotait sur le poêle.

— Désirez-vous que je ferme la fenêtre ? Avez-vous froid ? demanda Mlle Chantal.

Elle le vit remuer péniblement la langue, rejetant à petits coups une salive épaisse. Et presque aussitôt l’air roula dans sa poitrine. Mais il fit un geste de surprise, serra violemment les mâchoires, et le râle cessa.

— Qu’est-ce que j’ai ? fit-il après un nouveau silence. N’y a-t-il rien à tenter ?

Une longue minute, Mlle Chantal le regarda fixement, sans parler, d’un air d’étonnement inexprimable.

— Je vais appeler le médecin, dit-elle. Il est dans votre parloir, avec papa.

Mais le moribond l’arrêta d’un regard impérieux, reprit sa rumination bizarre, et prononça enfin quelques mots dont elle n’entendit que les derniers :

— … personne… vous seule… je veux savoir.

Elle hésita, les sourcils froncés, son mince visage tendu et comme vieilli par une révélation intérieure, l’imminence d’une découverte si déchirante et si pathétique que toute candeur parut s’effacer instantanément dans ses yeux sombres.

— C’est une crise d’urémie, dit-elle enfin avec lenteur, tenant sa bouche au plus près de l’oreille de l’abbé Chevance. Vous avez déliré cette nuit. Vous m’avez demandée sans cesse, et aussi M. Cénabre, peut-être ? On a prévenu papa vers six heures. Nous avons ramené ici notre médecin, le docteur Glorieux.

Elle recueillit ses forces, et ajouta non moins distinctement :