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L’IMPOSTURE

se jeter hors de son lit sans réussir à soulever la couverture de son faible bras glacé.

— Ne vous agitez pas, disait Mlle Chantal. Dans un instant, vous pourrez parler, j’en suis sûre. M’entendez-vous ?

Il fit signe que oui. Mais il rassasiait d’abord ses yeux du désordre ignoble de la petite chambre, un pardessus jeté en travers de la table, une paire de manchettes souillées de sang, les serviettes éparses, ses pauvres vêtements roulés en boule sur le parquet, un long bas de laine noire pendu à l’espagnolette, et au coin même de la cheminée, les reliefs du dernier repas, le litre vide, un morceau de pain. L’humble désastre de sa misérable vie était là, écrit partout.


— Je vais mourir, ma fille, dit-il.

À ces mots, elle se laissa glisser doucement à genoux, appuya son menton sur ses deux mains jointes, et soutenant toujours le pauvre regard errant de toute la force de ses yeux calmes et fiers.

— Je le crois, fit-elle. Du moins ils l’ont dit. Je suis bien heureuse. Ce matin vous étiez si faible que nous pensions que votre cœur ne battait plus. J’avais tant de fois souhaité de mourir la première, vous souvenez-vous ? et que vous me bénissiez une dernière fois. Mais c’est un grand honneur que vous faites à votre petite fille de la garder près de vous jusqu’à la fin.

— Je vais mourir, répéta-t-il avec une espèce de dureté. Puis il tourna lentement la tête vers le mur et se tut.

Par la porte entr’ouverte de l’étroite pièce que l’abbé Chevance nommait son parloir, un rire discret vint