Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/319

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
L’IMPOSTURE

acheva de soulever ses paupières et fixa longuement, sans la reconnaître, la muraille blême de l’alcôve. Enfin, il aperçut le lit bouleversé, la cuvette posée sur les draps, une tache vermeille, et tout à coup, sa main osseuse, aux ongles cernés de violet, déjà cadavre. L’aube misérable flottait au plafond. L’âcre odeur de la pluie matinale venait jusqu’à lui par bouffées.

Il voyait tout cela, mais d’une vision confuse : ses yeux allaient d’un objet à l’autre, comme s’il eût perdu le pouvoir de commander à leurs muscles délicats, puis ils glissaient de nouveau, insensiblement, vers la baie lumineuse de la fenêtre, où montait le disque pâle du soleil, dans un brouillard floconneux. Cependant, alors qu’il détournait un peu la tête, au prix d’un effort immense, il rencontra ce regard attentif, patient, volontaire, qu’il sentait posé sur lui, depuis des heures peut-être, à travers l’épaisseur de son rêve, et il s’y retint de toutes ses forces, ainsi qu’au seul point fixe dans l’universel écoulement. Même avant que d’y lire quoi que ce fût d’intelligible, il subissait sa douce contrainte, il entendait son appel muet. Le cercle de la vie se rétrécissait à mesure, et il ne restait plus sans doute au centre de la dernière spire que ce reflet pensif, suspendu entre le jour et la nuit, guetteur vigilant à la surface des ténèbres… » Un moment, le silence parut s’approfondir encore, puis se déchira brusquement. Une voix — et non plus un vague murmure — mais certaine, indubitable, dont il reconnut en un éclair le timbre et l’accent, venait d’éclater à ses oreilles. La surprise du vieux prêtre fut telle, et si douloureuse la brutale résurrection de la conscience, qu’il essaya de