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L’IMPOSTURE

puis aussitôt après la tête rusée de l’abbé Cénabre, et enfin sa main rose, dont il protégeait la flamme.

— Hé bien ? dit-il.

— Vous êtes un homme dur ! cria l’abbé Chevance, hors de lui.

— J’ai pitié de vous, au contraire, reprit Cénabre. S’il est vrai que vous êtes dangereusement malade, il importe que nous réglions nos comptes, exactement, sans plus tarder. Je suis entièrement à vos ordres.

— Qui vous parle de compte à rendre ? demanda le vieux prêtre, tout tremblant. Vous vous moquez de moi comme toujours. Au point où nous en sommes, Cénabre, vous ne devez plus rien qu’à Dieu.

— Je vous ai jeté à terre, fit l’imposteur d’une voix morne. Je donnerais mille vies pour ne vous avoir jamais touché. Quoi que je fasse, je ne saurais plus me dégager de vous, je suis lié à votre détestable petite personne pour l’éternité, que l’enfer vous écrase.

— Pourquoi maudissez-vous Dieu, imbécile ! bégaya l’abbé Chevance. Pourquoi voulez-vous me perdre avec vous ?

Il s’élança, mais le sol manqua sous ses pieds, et il ne réussit qu’à se traîner sur les genoux, vers la haute silhouette noire impassible.

— Je suis en règle avec Dieu, dit Cénabre, de la même voix sombre. Je me suis dépouillé de tout, mon dénuement est total. Qui n’a rien ne doit rien, je vous prie de remarquer la parfaite correction de mon calcul. S’il me restait la moindre bagatelle, je la détruirais sur l’heure, car il est selon ma nature de détruire plutôt que de donner. Cependant nul n’y pourrait trouver à reprendre, puisque je suis la première victime de mes