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L’IMPOSTURE

pourquoi je ne saurais approuver en aucune façon un absurde entêtement qui menace de tout gâter. D’ailleurs, à vous entendre geindre, il m’est aisé de connaître que votre ridicule santé n’a jamais été meilleure. Vous n’êtes pas plus malade que moi.

Tandis qu’il parlait, l’abbé Chevance s’était mis en marche lourdement, l’oreille au guet, se guidant de son mieux vers la voix. Elle se tut. Alors il enfonça ses deux bras dans les ténèbres, et en retira une main inerte et molle, qu’il pressa sur sa poitrine, en gémissant.

— Laissez ma main tranquille ! grogna Cénabre, moitié riant, moitié fâché. Lâchez-la ! Quel fou !

— Je suis votre ami, je suis votre dernier ami, suppliait le vieux prêtre. Quand vous m’aurez poussé au désespoir, vous y tomberez avec moi. Mon Dieu ! je ne trouverai pas un mot à vous dire, ma tête se perd. Si vous voulez que je ne vous sois pas tout à fait inutile jusqu’à la fin, sortons d’ici. Allons ailleurs, n’importe où, que vous puissiez au moins me voir mourir.

— Je ne le refuserai pas, dit Cénabre, quoi que j’aie de sérieuses raisons de craindre un piège. Et d’ailleurs, cher ami, à supposer que je vous voie mourir, j’ignore quel avantage vous pouvez espérer que j’en tire ? Tout cela paraît bien singulier, bien étrange, pour ne pas dire plus.

Il battit le briquet, souffla sur l’amadou, comme le petit garçon Chevance l’avait fait tant de fois jadis, à la lisière du Pâquis, lorsqu’il allumait son feu de brindilles où il jetait les châtaignes, une à une… Mais la chandelle rallumée n’éclaira que l’angle du mur nu,