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L’IMPOSTURE

— Êtes-vous fou ? dit sévèrement l’abbé Cénabre. Nous sommes seuls. J’exige que vous vous en assuriez vous-même.

Il referma violemment la porte, éleva le bougeoir au-dessus de sa tête et pénétra dans l’appartement, traînant son hôte à sa suite. Les pièces étaient nues, absolument nues, retentissantes. Chaque pas y soulevait un peu de poussière, vite retombée. À la dernière, l’abbé Cénabre s’adossant au mur, se tint longtemps immobile, en silence. Puis il dit tout à coup, d’une voix égale et triste.

— Si vous le désirez, je vous montrerai la place même où je vous ai jeté à terre, l’autre nuit. Je la connais. Mais vous êtes passé dessus sans la voir, bien que vous soyez un homme juste, exact, et qui tient son compte, au denier près. Néanmoins, notez-le, je ne vous dois plus rien : je vous défie de tirer désormais quelque chose de moi, que vous le vouliez ou non. J’ai vendu mes meubles, mes tapis, jusqu’à mes livres — oui, mes livres ! — vous n’en trouverez pas un seul ici. Je vis dans une extrême pauvreté, monsieur, une pauvreté parfaite, une pauvreté vraiment évangélique. Pourquoi me persécutez-vous ? Oui. Quid me persequeris, Chevance ?

Il marcha vers lui, posa les deux mains sur ses épaules, fixant étroitement son regard sur les yeux du prêtre stupéfait.

— Je vous ai déjà pardonné, Cénabre, fit-il. Vous le savez bien. Comment donc osez-vous parler ainsi ?

L’illustre historien haussa les épaules, avec mépris :

— Je vois que nous ne nous comprenons pas, dit-il sèchement. Vous êtes un petit prêtre raisonneur. Je