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L’IMPOSTURE

vaincu, sa possible justification. « Je suis maintenant son unique ami ! » L’évidence de leur commune solitude l’écrasait. D’être lié ainsi, malgré lui, à l’insu de tous, au prêtre célèbre dont il ne prononçait jadis le nom qu’avec une admiration enfantine, de partager — en quelle mesure ? — son redoutable destin, lui avait longtemps paru comme un mauvais rêve, dont il allait s’éveiller. Alors il doutait pour un moment d’avoir vu et entendu. Il s’accusait d’être un homme grossier, sans nuances, que le seul hasard a rendu maître d’un secret quand sa simplicité n’en saurait faire aucun usage. Il se retournait avec rage vers son labeur quotidien, sans pouvoir étouffer l’humble voix intérieure, l’objection naïve, mais inflexible : « Pourquoi n’est-il pas revenu ? Il sait le mal qu’il m’a fait… » Puis, il se jurait d’en finir, se fixait un délai bientôt dépassé, tour à tour frémissant d’inquiétude, ou éperdu de honte à la pensée de tant de suppositions téméraires que l’abbé Cénabre pourrait tenir justement pour autant d’outrages. « Du moins, Dieu ne permettra pas que je meure sans avoir connu mon devoir, et sans l’avoir accompli. » De cette seule pensée, le pauvre prêtre avait reçu quelque apaisement. Mais il croyait l’échéance encore lointaine. Elle était venue.

Elle était venue, et après un court moment de lucidité, il ne le savait déjà plus. De la mort apparue brusquement, ainsi que derrière la vitre un visage amer, il n’avait retenu que cette assurance obscure que toute hésitation n’aurait plus désormais de sens, que la sagesse était d’aller vite, de courir au but, d’un trait, parce que le temps même était mesuré. Sans doute se souvenait-il vaguement d’avoir souffert, souffert à