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L’IMPOSTURE

lui dirai… J’aurai sûrement la force de dire… L’homme est devant lui, tout droit, tout noir, inflexible… Ah ! quelle pitié ! quelle détresse ! Il était temps !… Si du moins ce cœur pouvait ralentir une minute, une seule minute son galop frénétique — ou qu’il ne l’entendît plus ! — « Non ! je ne paraîtrai pas devant Dieu sans vous avoir donné le baiser de paix… Moi… Moi qui sais… Moi seul ! Je puis vous pardonner en son nom… Ayez pitié de vous ! Je… Je… » Mais les mots se pressent en désordre, puis s’envolent comme un essaim de mouches, tous ensemble, dans un murmure immense… — « Enfin, que me veut-on ? » lui demande l’homme, avec un sourire amical. Alors il rassemble ses forces il tâche de former un cri, un seul cri, dans sa gorge serrée : — « Votre vie ! Votre vie éternelle ! »… Hélas ! c’est sa vie, sa propre vie, sa pauvre vie qu’il sent couler hors de lui, par mille canaux invisibles… Quel recueillement soudain… Quel silence ! Le cœur enragé, lui-même, hésite… va s’arrêter… s’arrête… tout se tait.

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— M’entendez-vous, monsieur ? dit le chauffeur. M’entendez-vous maintenant ?

Car il vient d’entrer par le panneau avant de la voiture, qui a tourné silencieusement sur ses gonds, comme une porte ordinaire. En vain l’abbé Chevance soulève un peu la tête, essaie de jeter un regard à travers la vitre.

— Où sommes-nous donc, mon ami ?

Mais l’autre hausse les épaules sans répondre, prend une bougie sur la cheminée, l’approche, la promène un instant devant les yeux du vieux prêtre, si près que la flamme frôle les cils.