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L’IMPOSTURE

comme une règle. Aussi que de distinctions, de nuances, que de choix pour l’amateur, quel éventaire ! De concession en concession, de surenchère en surenchère, un jeune ambitieux qui n’aime pas le bruit et travaille avec méthode, peut aller aussi loin qu’il lui plaît, sans perdre le précieux avantage d’être moins un partisan qu’un allié, — un ami du dehors, toujours à contrôler, jamais sûr, — comme ces pauvres dames qui gardent dans le saint état du mariage pour quoi elles n’étaient pas faites, l’odeur et le ragoût du passé.

— Vous jouez un jeu cruel, dit Pernichon d’une voix tremblante, un jeu bien cruel. Et même si ces paroles ne devaient rester secrètes…

— Je vous les abandonne, dit l’abbé Cénabre. Faites-en ce qu’il vous plaira.

Puis, tout à coup, un mouvement intérieur, irrésistible, bouleversa de nouveau ses traits. Le sourire s’arrêta sur ses lèvres, son regard durcit, le tremblement de ses mains redevint visible. Et sa colère même parut comme dévorée par un sentiment plus violent et plus mystérieux.

Il baissa lentement les paupières. Le silence qui suivit fut difficile à surmonter.

Dès le premier moment de cette soudaine, imprévisible attaque, M. Pernichon s’était trouvé désarmé. Habile à certaine escrime du langage, au jeu de l’allusion, la violence directe le paralyse, agit littéralement comme un poison de sa volonté. Mais que dire de cette violence si cruellement calculée, passant de l’invective à un accent d’amertume douloureuse, puis de sollicitude incompréhensible ? Néanmoins la stupeur finit par laisser tout à fait la place à la crainte, puis à