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L’IMPOSTURE

clut-il, du moins officiel. Je ne vous refuse pas la permission de visiter celui-là, je le crois inoffensif. Aidez-moi seulement à décourager la médisance. Que vous reprocherais-je ? J’ai moi-même été pris, un temps, au charme extraordinaire, évangélique, de notre vénérable ami. Je le respecte infiniment. Je le respecterai toujours. »

Elle ouvrit plus grand ses yeux calmes, un peu rieurs :

— Pauvre abbé Chevance ! Vous verrez qu’il aura de la peine !

— Ma chère Chantal… commença l’historien servile.

— Oh ! je veux dire seulement qu’il sera surpris, un peu, au moment même, voilà. Et puis, il oubliera très vite, rassurez-vous ! Il est si distrait !

— Non, non, ma chère Chantal, reprit gravement M. de Clergerie ; tu ne peux me tromper. Le sacrifice que je t’impose…

Alors elle secoua de nouveau la tête, en riant, se glissa plus près, mit une main sur chaque épaule de son père, offrit aux yeux étroits et clignotants son regard inaltérable.

— Je ne vous trompe jamais, dit-elle. Ce n’est pas vrai. Je suis heureuse ainsi, toujours, toujours. N’êtes-vous pas content que je sois heureuse ? Je n’ai jamais de peine, papa. M’en voulez-vous d’être heureuse ?

Il saisit au vol la petite main, aussitôt frémissante et docile entre ses doigts.

— Tu m’inquiètes, Chantal, au contraire, dit-il sincèrement. Je ne suis pas sûr de comprendre. Mon Dieu, certes ! tu es incapable de te dérober : pourquoi ai-je l’impression de te poursuivre sans t’atteindre, de