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L’IMPOSTURE

Le visage de Pernichon, en dépit de sa vulgarité, eut une expression vraiment humaine, presque noble :

— Je n’ai pourtant pas choisi le parti des vainqueurs, dit-il.

— C’est que le parti des vainqueurs est le parti des maîtres, et vous sentez cruellement que vous n’êtes pas né un maître. Mais vous vivez dans leur ombre, et leur caresse vous fait du bien.

Et il ajouta, après un silence, posément :

— Il vous fallait, d’ailleurs, quelque chose à marchander.

— Jamais, monsieur le chanoine, s’écria Pernichon, jamais, dis-je, mes ennemis ne m’ont tenu pour un homme à vendre !

— Mon enfant, dit l’abbé Cénabre, ne vous fâchez pas si, dans cet entretien tout intime, j’utilise une connaissance particulière de vos ressources, de votre capacité morale. Vous êtes un intermédiaire-né. D’où vient que le parti — ou pour parler leur langage — le milieu catholique est si favorable à la multiplication de cette espèce ? Parce que dans une société politique de plus en plus étroitement solidaire, si fortement constituée en groupes dont la discipline est exacte et l’individualisme exclu, il est le suprême refuge d’un opportunisme démodé. Du radicalisme au socialisme, théoriquement, le passage semble aisé. Pratiquement, il n’en est pas de même, car c’est proprement changer de clientèle. Mais croire en Dieu, et vivre dans l’indulgente obédience de l’Église est une position si commode ! On est d’un parti sans en être. En cette matière, rien de moins étroit que le dogme : il semble même à certains proposer l’indifférence politique