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L’IMPOSTURE

de cette force d’âme tant admirée, tant désirée. — « Notre Seigneur, disait-il encore, envoie aux grands de son royaume la douleur privilégiée, mais aux petites gens la détresse et l’humiliation. »

Ayant reçu enfin officiellement l’annonce de sa très prochaine nomination à une nouvelle paroisse de banlieue, si pauvre qu’elle avait rebuté les plus hardis, il avait aussitôt formé le projet d’aller camper sur un terrain vague, lotissement acheté par l’archevêché en vue d’y construire une chapelle provisoire et un baraquement de planches goudronnées, baptisé presbytère. Mais le chanoine Mesurier, son protecteur, l’en dissuada vite, faisant craindre qu’un tel empressement parût fâcheux et comme inconvenant, à Son Éminence. — « Prenez garde de trop vous hâter, conseillait cet homme sagace, vous auriez l’air de donner des leçons à vos supérieurs. » Or, ce que l’abbé Chevance pouvait redouter le plus, en un moment de sa vie qu’il imaginait si important, si décisif, c’était justement de passer pour manquer de prudence, vertu cardinale, qu’il prétendait avoir eu beaucoup de peine à acquérir, mais qu’il recherchait toujours en secret, tourmenté de doutes et de scrupules, avec une patience et une assiduité de fourmi. « Un bon curé doit être bon administrateur, » concédait-il à chaque visite au chanoine son ami, avec un sérieux émouvant, bien qu’il se fît toujours de l’administration et de ses secrets l’idée la plus baroque. Mais on le savait aussi bon quêteur que mauvais comptable, étant de ces hommes simples nés pour traverser modestement la vie des riches et des voluptueux, tenant la pauvreté par la main.