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L’IMPOSTURE

moi — peur de moi, quelle idée ! Ce n’est pas de moi que vous avez peur, pensez donc ! C’est de vous-même. Vous avez été cruelle exprès, comprenez-vous ? C’est comme si vous aviez tué votre âme, pour en finir, d’un seul coup. Oui, j’ai vu mourir votre âme, madame de la Follette. Et maintenant vous avez honte. Tant mieux d’avoir honte, mais en somme, hein ? ce n’est qu’un simple mouvement de la nature — vous sentez ? Nous nous tenons devant les anges avec ce cadavre dans les bras, comme Caïn. Nous sommes bien embarrassés. Qu’est-ce que Dieu nous demande de plus ? Peu de chose. Le regret d’avoir fait le mal, le désir de le réparer, parfois un seul petit regard de rien vers le ciel, le souhait d’être meilleur, de savoir, de comprendre… À chacun selon ses forces, selon les lumières qu’il a reçues, les grâces — que sais-je ? Et pour moi, je vous bénis, madame de la Follette, je vous bénis de tout mon cœur.

La sueur ruisselait toujours sur ses joues, et il l’essuyait du même geste machinal, sa bouche enfantine plissée d’un pâle sourire anxieux, ses yeux magnifiques touchés de biais par la lumière dorée du soir, frêle et tragique, ainsi qu’une note déchirante à la cime de la symphonie. Son vieux corps gainé de noir, en apparence immobile, mais comme soulevé de dedans par une ferveur surhumaine, s’inclinait imperceptiblement à droite ou à gauche, tantôt ramassé sur lui-même, tantôt jeté en avant, portant ses coups invisibles avec une précision incomparable, une rapidité inouïe. Et cette espèce de dialectique mystérieuse, tout entière dans l’avidité sublime du regard, la prière muette des mains, l’élan presque terrible des