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L’IMPOSTURE

— Physiquement ?

— Bah ! bah ! vous me comprenez très bien. Madame de la Follette, permettez-moi de vous le dire, vous avez tort de vous moquer de moi. Les malades sont bien à plaindre… oh oui ! c’est un état bien humiliant pour la nature : on ne fait rien de bon, le goût de la prière s’en va. On ne pense qu’au travail qui nous presse, aux occasions manquées, au temps perdu, à ce pain inutile qu’on mange… Je ne parle pas de petites douleurs çà et là. Grâce à Dieu, je ne souffre guère, je n’y porte pas trop d’attention… Mais voilà : je crois que mes forces déclinent. Je suis sur une pente, madame de la Follette.

Elle le fixait curieusement, de ses yeux calmes et plats, la bouche un peu crispée, avec ce rien de cruauté presque animale — telle qu’on pouvait la voir chaque dimanche, au jardin des Plantes, face à la cage du boa, contemplant devant la bouche énorme et molle, le petit lapin hérissé.

— Je finis par croire que vous n’avez pas de méchanceté, dit-elle pensivement… Pourquoi faut-il que depuis une semaine vous me rompiez la tête avec vos maladies ?

— Oh ! depuis une semaine, vous exagérez un peu, madame de la Follette… Je ne souffre vraiment que depuis avant-hier… non ! mardi… mardi tout au plus. J’ai été surpris, bousculé, voyez-vous, pris de court. En somme, les étourdissements surtout m’inquiètent, la vue baisse, j’entends mal. Pourrais-je seulement prêcher, confesser ? Peut-être aussi vois-je les choses pires qu’elles ne sont ? Alors, je me permettais de compter sur vous : une personne non prévenue juge