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L’IMPOSTURE

beau d’avoir de l’ordre. Il y a de l’ordre dans le Paradis. Pour moi, je me suis toujours contenté de peu, je ne suis pas ce qu’on appelle un homme d’argent. Mais je vous le répète encore une fois, madame de la Follette : je dois faire de gros sacrifices en prévision de ma nomination. Il y a un rang à tenir : j’ai reçu à ce sujet des instructions très précises, j’ai le devoir de m’y conformer. Lorsque mon presbytère sera bâti…

— Elle est bonne ! remarqua la concierge, amèrement. Il parle d’être curé, et il n’a même pas de presbytère !

— Certainement, certainement, c’est ennuyeux, concéda l’abbé Chevance, toujours rêvant. Du moins ai-je ici un domicile convenable, très convenable. N’est-ce pas ? Je puis recevoir dans la pièce à côté, c’est mon parloir. D’ailleurs, nous sommes à deux pas de la porte de Vanves : quarante-cinq minutes de tramway, je suis à pied d’œuvre. Le petit ennui, c’est de partir de bonne heure, parce que je ne peux voir mes paroissiens que très tôt, ou très tard, au choix. Le jour, ils dorment.

— Ils dorment le jour ! Et qu’est-ce qu’ils font donc, vos paroissiens ?

— C’est surtout des chiffonniers, avoua gravement l’abbé Chevance. Oh ! il y a chiffonniers et chiffonniers, notez bien, madame de la Follette !

— Des chiffonniers ! Je vois ça d’ici : un wagon réformé dans la zone, avec une cabane à lapins, des gosses autant que les lapins, et des poux en veux-tu en voilà ! J’aime mieux vous prévenir : M. de la Follette a épousé une simple ouvrière, mais s’il rencontre jamais un de ces pouilleux dans l’escalier, aussi