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L’IMPOSTURE

étiez engagée à cirer mes chaussures chaque matin…

— Engagée ! s’écria-t-elle, engagée ! Monsieur Chevance, votre mauvaise foi me fait honte. Pour cirer vos chaussures, il faudrait que je les trouve à votre porte, où vous négligez régulièrement de les mettre, par oubli ou par méchanceté. Quand j’arrive, elles sont à vos pieds. Monsieur Chevance, défaut d’éducation n’est pas vice. Je vous ferai observer néanmoins que je ne suis pas femme à me mettre aux pieds de personne pour décrotter des souliers. À présent, voulez-vous que je monte l’haricot, oui ou non ?

De surprise, le pauvre prêtre avait laissé tomber le mouchoir qu’il serrait entre ses doigts, et il contemplait son bourreau d’un air grave et attentif.

— C’est vrai, fit-il enfin, c’est la vérité. J’oublie de les déposer à la porte. Je dois vous dire, madame de la Follette, que je crains d’avoir jusqu’ici vécu dans le monde avec une excessive simplicité, qui finit par attirer l’attention. Or, pour être irréprochable, un prêtre doit passer inaperçu. Le clergé parisien, madame de la Follette, a une réputation de tenue, d’élégance même : ce n’est pas à un ancien desservant de campagne qu’il appartient d’avoir une opinion là-dessus. Mieux vaut se conformer aux traditions et aux usages. Je ne vous cache pas que cela me coûte un peu. Ainsi je me fais raser désormais deux fois par semaine, et c’est une grosse dépense. Il en sera ce que Dieu voudra. Je vous l’ai répété souvent, madame de la Follette, ma nomination est attendue d’un moment à l’autre. Je serai bientôt curé. Peut-être même aurais-je la responsabilité d’un vicaire. Je devrai faire honneur à mon petit monde.