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L’IMPOSTURE

tenir de nouveau entre ses fortes mains, l’interroger encore, comme si le misérable eût caché tout au fond de sa bonté, exprès, ainsi qu’un effroyable espiègle, la part la plus utile, la plus rare, de leur commun secret, sa part magique. Et, dans le même moment, il sentait que sa crainte était vaine, que l’occasion manquée ne se retrouverait plus, à supposer qu’elle eût jamais été. Il ne garderait que la joie amère, détestable, connue de lui seul, incommunicable, d’avoir touché le fond de sa propre conscience, d’avoir prodigieusement abusé de son âme… Le regard qu’il jeta du seuil, une dernière fois, à son compagnon fantastique, était moins de haine ou de pitié, que de volupté assouvie.


Il réfléchissait à toutes ces choses les jambes étendues, ses souliers posés sur un coussin lamé d’argent, laissant tomber les bras jusqu’à effleurer du bout des doigts la laine du tapis. Sa fatigue lui était douce, et il ne sentait pas le sommeil, les tempes battantes d’une légère fièvre, jouissant du silence, de la solitude, de la sécurité retrouvée, ainsi qu’après un long voyage. Il semblait qu’il commençât une nouvelle vie, qu’il se fût déchargé, en quelques heures, d’un poids énorme, comme après la longue obsession de l’abstinence, le débauché gorgé de joie.

À portée de sa main le tiroir gauche de son bureau, entr’ouvert, laissait voir entre deux tas de feuilles blanches, un étui de forme suspecte, qu’il connaissait bien, le pistolet Star, désormais inoffensif. Drôle d’histoire ! En le jetant ce soir-là si violemment, il avait fait sauter l’un des pignons, et il s’était amusé parfois, de ses mains maladroites, à tenter de remettre en place