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L’IMPOSTURE

ouverte, et il ne sentit qu’un instant contre son mollet le frémissement des jambes qui se roidirent à leur tour, les pieds reposant sur leurs talons avec, au trottoir vide et blême, leur double ombre décroissante. Une longue minute le prêtre n’osa bouger, prêta l’oreille. Le faible râle, presque enfantin, se ralentit puis cessa brusquement. Il n’entendait plus que l’imperceptible frémissement de la salive, l’éclatement des petites bulles d’air entre les dents serrées… Deux passants qui les avaient devancés une minute plus tôt avaient disparu : la rue était déserte. Au fond du Jardin des Plantes, très loin, un animal inconnu poussait par intervalles un cri ridicule. L’abbé Cénabre jeta un dernier regard alentour, puis ayant hissé sur son dos la chose légère, il descendit lentement.

Lorsque l’abbé Cénabre rentra chez lui à trois heures du matin sans avoir vu M. Guirou, il trouva une enveloppe soigneusement pliée dans un papier sur lequel sa femme de ménage avait écrit au crayon :

Aporté à Monsieur par un Comisionaire, à 8 (huit) heures. Praissé.

Il retourna d’abord la lettre entre ses doigts. C’était une de ces enveloppes telles qu’on en trouve dans les buvards des cafés pauvres, et elle était scellée de deux petits carrés de papier gommé. Il lut au verso, d’une écriture hâtive : Extrêmement urgent, à remettre en mains propres. Pernichon, 98, rue Vaneau. Paris. Il haussa les épaules, et jeta la lettre sur la table.

Il ne souffrait plus. Depuis longtemps même, il ne s’était senti si dispos, si impatient de s’examiner, de calculer ses chances. La rencontre de la nuit, ses épi-