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L’IMPOSTURE

content que le bon Dieu vous ait pas fait la peau trop courte, et d’être si à l’aise dedans. Vaut mieux dégoûter que faire pitié, d’accord. Et puis, il y a le coup de la surprise. « Ho ! mon chéri (qui disent, les poules) quel sale bonhomme ! Y sent mauvais. Quelle horreur ! » Alors je me mets à rigoler : c’est le moment. Quand je leur ai montré mon polichinelle, laissez faire ! elles ne s’en vont plus, elles en redemandent.

— Vous parlez sans cesse de votre polichinelle, demanda l’abbé Cénabre. Qu’est-ce que c’est ?

Il leva les épaules avec dédain.

— Ça n’est pas une idée, c’est de nature. Je trouve des mots, des histoires, je suis jamais à court, je vois ce qu’on veut dans les yeux. Des mensonges, vous ne croiriez pas ! À se cracher dessus, patron ! Mais dans ma combine, pas moyen d’y regarder. Faut la salir !

Il étendit devant lui sa main noire, comme pour un pacte ténébreux.

— Voilà le boulot !

Et il se tut, émerveillé.

Un moment l’abbé Cénabre le contempla sans désirer rompre le silence. En dépit de l’inavouable fierté du regard, l’homme errant laissait reparaître depuis quelques instants une inquiétude, une sorte d’impatience maladroite et fébrile, comparable à l’agitation, à la vague terreur des bêtes devant un danger inconnu ou la mort. Visiblement, pour la première fois sans doute, cet animal humain dégradé, ainsi qu’une épave monte à la surface avant de s’engloutir à jamais, s’interrogeait sans se comprendre.

Mais le prêtre n’y put tenir. La sauvage détresse