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L’IMPOSTURE

sa main ouverte, rougit plus fort, et reprit enfin, d’une voix apaisée :

— Pardonnez-moi ce mouvement d’humeur : je ne suis pas un apôtre, je ne saurais l’être. L’esprit critique l’emporte chez moi, ou plutôt il absorbe toutes les autres facultés. Une extrême attention finit par consumer la pitié.

Il prit la main du petit homme dans les siennes.

— Mon ami, je m’étonne du parti pris de ces prêtres un peu sots et bornés qui, par leur zèle indiscret, entretiennent tant de bonnes gens dans l’illusion qu’ils donnent à faire à tous les démons de la luxure. Les termes de l’art militaire ajoutent à ces fadeurs un ridicule de plus. Il n’est parlé que de combats, d’assauts livrés ou repoussés, de défaites et de victoires… Hélas ! mon enfant, moi qui vis — je puis dire — dans la familiarité des saints, et parmi eux des plus subtils, que voulez-vous que je pense de cette guerre illusoire où les malheureux se mesurent avec leurs ombres ? Bien plus…

Il lui pressait plus affectueusement les mains.

— Il n’y a pas là, continua-t-il, qu’une erreur de jugement : une duplicité fort perverse. À vous prendre simplement (si vous voulez bien), j’estime, je tiens pour avéré que, loin d’opposer une résistance aux tentations extérieures, vous entretenez avec beaucoup de peine et d’application, une concupiscence dont chaque jour affadit le venin. De la source désormais tarie, vous remuez la boue, pour en respirer au moins l’odeur. Par économie de vos forces, il vous plaît de vivre dans ce mensonge d’un nom prodigué à des séductions imaginaires, lorsque votre