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L’IMPOSTURE

n’acheva pas : sa vieille face s’éclaira d’une surprise sincère. Il laissa retomber son bras.

— C’est bien possible, dit-il. Il faudra que je réfléchisse à ça…

Il renifla encore bruyamment, cracha par terre ses dernières larmes, et reprit, comme délivré d’un poids immense.

— J’ai eu tort de pleurer, je suis trop sensible. Tout ce qui n’est pas dans mon truc, vous comprenez, patron ? Ça me casse la tête.

Il soupira de nouveau, d’un air de soulagement indicible.

— J’ai vu des types, j’en ai vu… Mais vous !… Ah ! vous… Vous, bon Dieu de bon Dieu ! Vous m’avez arraché ça comme avec la main. Je suis un autre homme, je suis comme neuf.

— Qu’est-ce que c’est que cette comédie ? demanda l’abbé Cénabre. Arraché quoi ?

— L’histoire de moman, dit le vagabond, avec un sourire énorme. C’est une blague. Pour de vrai, je ne sais pas si elle était putain ou non : elle est morte. À l’époque, je tétais encore mon pouce, ainsi ! Seulement j’ai raconté la même blague des fois et des fois : c’est toujours mon sacré polichinelle, une misère. Le vrai, le faux, voyez-vous patron, on mêle tout. Un bachelier ne s’y reconnaîtrait pas… Mais vous !… ah ! vous… Vous l’avez arrachée comme une molaire.

Il se tut un moment, passa la langue sur ses lèvres avec gourmandise, et faisant probablement pour comprendre le suprême effort de sa vie, il conclut :

— Vous n’êtes pas plus curé que ma pomme, voilà mon idée. Les curés, c’est tous des croquants.