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L’IMPOSTURE

jours argumentant et méditant, même au cours de ses promenades solitaires, il se surprenait maintenant à laisser traîner sur tant de choses étrangères du dehors, jadis méprisées, un regard avide ou sournois. Il cherchait parfois, avec une sorte de nostalgie, un attendrissement indéfinissable, cela qui, jadis, ne lui eût assurément inspiré que mépris ou dégoût, par exemple le tumulte heureux des faubourgs, à midi, leur coudoiement brutal, la vie grossière et fraternelle qui a son flux et son reflux. Il souhaitait par moments se perdre en elle, puis il l’affrontait, il la défiait avec de sombres délices. Car il avait jadis redouté la foule et le bruit, et cette crainte absurde à surmonter était un des éléments de son capricieux plaisir. Tel regard méfiant d’un compagnon, telle injure entendue sans sourciller, jaillie d’une gargote, le rire d’une fille ou son timide appel, les mille petites aventures de la rue l’agitaient extraordinairement. Jamais il ne sentait mieux qu’alors sa solitude, jamais il ne souhaitait plus ardemment d’y échapper, de rompre le cercle enchanté à n’importe quel prix, de se rendre à discrétion, corps et âme. C’était comme un de ces coups de vent brusques qui volent le souffle jusqu’au creux de la poitrine et vous font plier les genoux. Il avait envie de crier à ces gens heureux, ou qu’il croyait naïvement tels : « — Recevez-moi ! Délivrez-moi ! ou du moins insultez-moi… » Car tout menteur a connu ce besoin de provoquer l’injure, qui ne va pas à lui, mais, à ce qu’il paraît, aux apparences dont il est devenu l’esclave, à son masque.

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