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L’IMPOSTURE

Il soufflait par le nez un petit rire craintif, livrant humblement son regard d’affreux enfant quinquagénaire, ses prunelles pâles, dont l’abbé Cénabre ne put supporter l’appel. Il tourna le dos, et s’éloigna lentement, assez lentement pour se laisser rejoindre. Car il entendait derrière lui, d’abord hésitant, puis résolu, le pas de son ténébreux compagnon. Et soudain il vit à ses pieds, sur l’asphalte du trottoir, danser cocassement une ombre.

— Pas de blague, et mes dix sous ! demanda l’ombre d’une voix qui s’efforçait d’être brave. Dix sous seulement, monsieur le curé, et je mets les voiles ! Dix sous pour le vieux gosse qui comprend la rigolade. Et je vous plaque après, craignez rien ! Je fais suisse.

— Suivez-moi, au contraire, dit l’abbé Cénabre. Je n’avais pas l’intention de vous renvoyer sans un secours. Nous conviendrons peut-être en marchant de quelque moyen de vous être utile. Je suis attendu moi-même, mon ami.

Il parlait avec douceur, et même il sourit au visage inquiet levé vers lui. La rue où ils s’enfonçaient descendait de biais vers la Seine, et ils n’y rencontrèrent qu’un sergent de ville somnolent dont la vue remplit d’amertume le vieux pitre qui, tout soufflant et boitillant, — car il tirait la jambe, — en était déjà aux confidences, expliquait son caractère, alignant des mensonges énormes, à la fois subtils et ingénus, scandés de : « Vous êtes un type à comprendre… » — « Je vais vous dire encore sans charre… » — « Avec vous, pas besoin de boniment… » etc… etc… Il déplorait sur toutes choses que sa famille lui eût fait cette injustice de lui donner le nom d’Ambroise, cause de ses mal-