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L’IMPOSTURE

cruellement exercé, ni mené si avant à travers son dedans ténébreux. Et jamais non plus elle ne l’avait laissé si âprement tourmenté de colère, et si déçu.

Il traversa le Pont-des-Arts, s’engagea dans la rue Bonaparte, prit à droite une rue déserte, puis une autre, et une autre encore. Son mauvais rêve était tout à fait dissipé, ne l’occupait plus. Il sentait seulement le besoin d’user par la fatigue l’agitation douloureuse dont il ne pouvait se rendre maître, et il choisissait au passage, pour sa promenade sans but, d’instinct, les ruelles plus étroites et plus noires. La dernière déboucha sur le boulevard Saint-Germain, déjà désert. Presque en même temps, il heurta de l’épaule un vieux pauvre, debout dans l’encoignure d’une porte, et sans doute endormi. La surprise le tint immobile un moment, puis il dit : « Que voulez-vous ? » — avec colère, et d’un tel accent qu’il eut honte.

Mais l’autre, dès longtemps rompu sans doute à ce genre d’escrime, répondit avec l’admirable à-propos des mendiants, sans se troubler :

— C’est le bon Dieu qui vous envoie, monsieur le curé. Ave Maria ! Dominus !

Il plongea sa main dans un trou de sa veste, en sortit un papier sordide.

— Voilà mon certificat. Et je vais vous dire. J’avais aussi un certificat du commissaire, avec mon billet de sortie de l’hôpital, épinglé dessus. Ah ! malheur ! Ah ! nom de Dieu de nom de Dieu ! Mais je les ai perdus, monsieur le curé. Voilà ma veine ! Preuve que je suis un honnête homme. Y a de la chance que pour la canaille et le parasite, c’est mon idée.

Il replongea mollement sa main dans un autre trou,