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L’IMPOSTURE

dait quelque chose, il ne savait quoi, quelque chose qui allait peut-être naître de son orgueil exalté jusqu’au paroxysme, crispé ainsi qu’un muscle à la limite de son effort. Ainsi le prêtre révolté, face à son Dieu trahi, le regard fixe, attendait une nouvelle et imminente révélation, mais venue de lui-même, et non pas de cette figure de bronze, froide et muette, ou du petit disque blanc si frêle, à travers lequel il voyait danser la flamme des cierges… Quelle révélation ? Pourquoi détestait-il à ce moment le calme inouï, l’indifférence lucide, dont il était ordinairement si fier, pourquoi s’emportait-il contre sa volonté, et que désirait-il enfin ?… Quiconque eût alors observé attentivement son visage eût sans doute répondu.

Ces crises singulières, chaque fois plus violentes, étaient aussi chaque fois plus brusques et plus courtes. Si brusques et si courtes que la voix du prêtre, surpris parfois au milieu de la récitation d’un verset, accusait à peine un fléchissement. Et il les oubliait aussitôt, n’y pensait plus, jouissant inconsciemment de l’accablement qui les suivait, d’une bienheureuse fatigue dont tremblaient ses genoux sous la soutane. Et il regardait aussi sans comprendre la sueur ruisseler sur ses mains. Le sacristain qui, la messe dite, repliait l’aube avant de la glisser dans un tiroir, s’étonnait de la trouver trempée de sueur.

En traversant le Carrousel, il s’assit un instant sur l’un des bancs de pierre sculptés dans l’épaisseur même du mur, puis gêné par les passants, se remit en route presque aussitôt, mais plus lentement. Depuis six semaines il rassemblait des fiches, prenait des notes,