Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
L’IMPOSTURE

qui ne jouit plus de son trésor parce qu’on lui en a dérobé une parcelle, et dissipe sa rare et précieuse volupté à désirer ce qu’il n’a plus, M. Cénabre ne se consolait pas d’avoir laissé prendre, par mégarde, quelque chose de sa vie. Une brèche restait ouverte. Un certain pressentiment l’agaçait.

À cette inquiétude près, il se sentait sûr de lui, n’ayant jamais rien livré au hasard, ni commis aucune autre imprudence. À son retour d’Allemagne, afin de s’accorder quelques jours de réflexion, il avait consigné sa porte, et fait dire qu’il était malade. Mais alors même les rares intimes qui l’approchèrent n’eurent certainement pas de soupçons. Dès ce moment, d’ailleurs, sa décision était prise : il avait résolu, de ne pas changer l’ordonnance extérieure de sa vie, de vivre et de mourir en prêtre.

Il peut sans doute paraître étrange qu’après avoir longtemps mordu son frein, l’occasion ne lui parût pas bonne de se libérer entièrement. Mais c’était de lui seul, c’était de lui-même qu’il avait prétendu se libérer, c’était devant lui-même qu’il prétendait ne plus rougir. Ayant consommé sa révolte, une dissimulation nécessaire, bien loin de diminuer la liberté reconquise, la lui rendait plus sensible, par un contraste matériel. On l’eût certes bien étonné en lui disant connaître que la décision qu’il avait prise serait la cause de plusieurs événements tragiques que sa sagesse ne pouvait prévoir, dont son bon sens eût même écarté l’hypothèse. Il ne voyait pas le péril de cette dissimulation, il n’en sentait pas non plus la honte, depuis qu’il était en règle avec son orgueil. Au contraire, il s’acquittait de toutes les obligations