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À ce moment l’auteur de la Vie de Tauler quittait la Bibliothèque nationale, et descendait la rue de Richelieu sous un soleil oblique, dans une poussière dorée. La ville, écrasée tout le jour par un brouillard impitoyable, aussi brûlant que l’haleine d’un four, se détendait ainsi qu’un animal fabuleux, grondait plus doucement, tâtait l’ombre avec un désir anxieux, une méfiance secrète, car les villes appellent et redoutent la nuit, leur complice. Cependant l’abbé Cénabre marchait de son grand pas égal, aussi indifférent à cette sérénité grossière qu’il l’eût été sans doute au désordre éclatant de l’après-midi, ou à la déchirante et pure haleine de l’aube, égarée parmi les pierres, pareille à un oiseau blessé. Car depuis longtemps, la pensée de l’abbé Cénabre était sans issue vers le dehors et il en épuisait la malfaisance avec une admirable cruauté.

Six mois plus tôt, dès son retour d’Allemagne où il s’était enfui, la première angoisse vaincue, il était entré sans débat, ainsi que de plain-pied, dans une paix profonde. Du moins, il l’avait ainsi nommée, car elle lui donnait l’illusion du calme absolu qui suit l’orage, d’une définitive immobilité. Des forces