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L’IMPOSTURE

moral. Sans doute obéit-il ainsi à certaines règles capitales de son jeu, mais il craint aussi l’enfer, enviant si secrètement ceux qui le bravent qu’il croit seulement les mépriser. Soucieux d’éviter tout éclat en ce monde ou dans l’autre, il administre sa conscience avec dégoût, tel un boutiquier renié par sa clientèle à son comptoir désert. Il sent lui-même l’effrayante immobilité, la flétrissure d’une adolescence se survivant à elle-même dans l’âge mûr. Une seule fois, en danger de mort, il a tenté l’épreuve d’une confession générale, et d’avoir remué ce passé sans histoire, cette fiente aigrie, il a connu avec effroi que toutes ces fautes ensemble ne faisaient pas la matière d’un vrai remords.

À l’oreille de l’abbé Cénabre les ordinaires aveux se succédaient dans leur ordre accoutumé. Car c’est la coquetterie de M. Pernichon que cette confession rapide, méthodique, qu’il aborde avec une autorité risible et mène jusqu’au terme ainsi qu’un clinicien sa leçon… Des prêtres naïfs en demeurèrent quinauds : à peine osèrent-ils absoudre un pénitent si bien informé. Néanmoins, jamais jusqu’à ce jour le célèbre auteur des Mystiques florentins n’a daigné rompre le fil du discours avant le soupir final, qui s’achève même parfois en toux discrète d’une irréprochable candeur… Cette fois encore le petit homme fut écouté en silence. Mais quand il eut fini, surpris de ne rien entendre, il leva les yeux et rencontra le regard du prêtre rivé au sien dans une immobilité sinistre.

La curiosité n’a pas ce feu sombre, le mépris cette tristesse, la haine une telle amertume. Le blême Pernichon, comme pris dans l’étau, se sentit soudain