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L’IMPOSTURE

venait de comprendre que l’infirme était, lui aussi, à une de ces minutes où le plus tenace ou le plus rusé se renonce. Et l’on doit dire que M. Guérou offrait en effet, à son tour, l’image même et comme le spectre de la déroute intérieure.

À présent la tête énorme semblait flotter de l’une à l’autre épaule, telle une épave sur une eau morte. Le lamentable écrivain parut même un instant absorbé dans une méditation grotesque, et M. Pernichon le crut d’autant plus aisément que le prompt relâchement des muscles de la face fit saillir la bouche en avant, dont les lèvres bleuâtres formèrent aussitôt une sorte de sourire. Néanmoins l’Auvergnat ne s’y trompa pas longtemps, car cette bouche s’entr’ouvrit tout à coup pour laisser échapper, avec un flot de salive, au lieu de mots intelligibles, un gargouillement confus. Il se leva, toucha du bout du doigt le torse inerte, gagna la porte d’un bond puis, la main sur la poignée, hésita, revint lentement vers la table et sonna.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— M… ! s’écria le légionnaire.

En une seconde M. Guérou fut hissé sur l’épaule et jeté plutôt qu’étendu sur un large divan de cuir. En une autre seconde ses vêtements arrachés s’éparpillèrent sur le tapis, et déjà l’homme frappait à tour de bras, d’une serviette mouillée, sur le corps nu.

Il frappa longtemps, poussant à chaque coup une plainte étouffée. M. Pernichon pouvait lire une véritable inquiétude — ou même quelque chose de plus — sur le visage dont il s’était détourné tout à l’heure avec dégoût. Cette inquiétude s’aggrava jusqu’à l’angoisse, puis les traits se détendirent, et à la grande sur-