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L’IMPOSTURE

(Il jeta furtivement sur Pernichon un regard qui le condamnait, l’effaçait déjà du monde des vivants).

— Qu’allez-vous faire en sortant d’ici ? interrogea-t-il tout à coup.

Le malheureux eût été incapable d’imaginer le moindre mensonge. Il répondit, fasciné :

— Je comptais écrire m mot à M. l’abbé Cénabre.

— Excellente idée ! triompha M. Guérou. Excellente idée ! Cénabre peut vous servir.

Un long moment, il mâchonna d’autres paroles indistinctes. La sueur coulait régulièrement de son front, et il l’épongeait parfois d’un geste nerveux, fatigant à regarder. Sans doute quelque chose commençait de l’emporter lentement dans son cœur sur la curiosité impitoyable, à peine soupçonnée d’un petit nombre, et dont il garderait à jamais le hideux secret. Enfin, il haussa les épaules, pour dire aussitôt, avec une espèce de tendresse :

— Comment diable êtes-vous venu me trouver ce soir ?

Mais l’Auvergnat, décidément apaisé, ne résistait plus, s’abandonnait. Sa pauvre âme, préparée à cette détresse voluptueuse par l’anxiété des dernières semaines, brisée par l’immense effort qu’il avait fait ce jour même, il se donnait à l’homme étrange qui lui parlait un nouveau langage, qui le traitait ainsi en égal. Tout le passé n’était qu’un rêve. Le présent même s’évanouissait. Jamais l’idée du suicide n’avait été dans son esprit plus vague, plus inconsistante, moins formulée, et pourtant jamais encore elle n’avait été si vivante. Le cerveau la concevait à peine, elle était comme la morose rumination de l’être tout entier. La conscience, déjà vaincue, faisait silence.