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L’IMPOSTURE

Déjà le murmure de M. Pernichon récitant le Confiteor s’élevait et s’abaissait dans le silence, car il affecte d’accentuer irréprochablement son latin. La tête penchée, les yeux clos, ses minces lèvres un peu serrées par un douloureux sourire, l’abbé Cénabre semblait attentif au murmure familier, bien qu’il n’en perçût encore que l’odeur. Une odeur fade et comme fanée, moins atroce qu’écœurante, flotte en effet autour de cet homme chétif, dévoré d’une austère envie. Mais sa conscience est d’une fétidité plus douce encore.

La piété du jeune rédacteur de la Vie moderne n’est pas hypocrisie pure : peut-être pourrait-on la dire sincère, car elle a sa source au plus secret de lui-même, dans la crainte obscure du mal, le goût sournois de l’atteindre par un biais, avec le moindre risque. Le peu qu’il a de doctrine politique ou sociale est commandé par ce même besoin pathétique de se livrer à l’ennemi, de livrer son âme. Ce que les niais qui l’entourent appellent indépendance, hardiesse, n’est que le signe visible, bien que méconnu, de sa morose nostalgie de l’abandon total, d’une définitive liquidation de lui-même. Tout ennemi de la cause qu’il prétend servir a déjà son cœur ; toute objection venue de l’adversaire trouve en lui une pensée complice. L’injustice commise envers les siens suscite aussitôt non la révolte, pas même une lâche complaisance, mais dans le double recès de son âme femelle, la haine de l’opprimé, l’ignoble amour du vainqueur.

Sa vie intérieure est mêmement trouble, équivoque, jamais aérée, malsaine. S’il prend des libertés avec la doctrine, il affecte un respect scrupuleux du précepte