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L’IMPOSTURE

autre bouche que la sienne, et il en éprouvait à mesure un soulagement indicible. Le regard qu’il attachait sur M. Guérou était d’un esclave, mais ce regard, c’était à présent M. Guérou qui l’évitait.

— J’ai dit la même chose à Laudat, en 1918, reprit l’auteur de Mécène avec un rire forcé. Vous connaissez Laudat ? Il ne s’en porte pas plus mal aujourd’hui… Mais je serais désolé de vous avoir déplu.

— Vous ne m’avez pas déplu, murmura l’Auvergnat dans un rêve.

— Tant mieux ! s’écria gaiement M. Guérou. Vous sortirez de là, jeune homme ! Un bon coup de sonde est toujours le bienvenu, même s’il fait mal… Mais je ne voulais que plaisanter. Voyez-vous : je suis fabuleusement sensible à certains états comme le vôtre. Je vous désignerais dans la rue, à vingt pas, l’homme dont la résistance morale est à bout, l’homme qui va se rendre… À la veille d’une bataille décisive, entre deux généraux, je pourrais parier à coup sûr pour le vaincu… Ça n’est pas drôle !… Et maintenant, permettez !… Je voudrais que vous ayez l’obligeance d’entr’ouvrir la fenêtre, à votre gauche… là… oui ! Vous n’avez qu’à étendre le bras… Merci. Je ne me sens pas bien…

Il suait à grosses gouttes.

— Vous voyez ce petit tas de cendres ? reprit-il après un silence, en désignant du doigt la cheminée. Je suis satisfait de l’avoir détruit. Le reste suivra. Je n’en veux plus… Figurez-vous que j’avais écrit des… enfin, il faut bien l’avouer !… des Mémoires ! Est-ce assez bête ? Je les ai détruits aussi. Qui le saura ?