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L’IMPOSTURE

est trop tard. J’ai perdu ma place. Je suis l’homme d’une place. La place perdue, l’homme n’est rien.

M. Guérou prit un journal sur la table, en fit une espèce de torche, qu’il acheva de tortiller soigneusement, l’alluma, saisit la liasse et jeta le tout, pêle-mêle dans la cheminée. La flamme jaillit et ronfla. Alors, mais alors seulement, les nerfs surmenés de Pernichon se brisèrent, et il éclata en sanglots, les yeux secs.

— Rien ne vous retient plus, c’est mieux ainsi, dit l’autre posément, avec un regard atroce. Oui, rien ne vous empêchera désormais de vous tuer, pour peu que vous en sentiez l’envie. Car vous en avez envie. Remarquez, en passant, que les circonstances ne justifient pas le moins du monde un suicide : la plupart de vos maux sont imaginaires, et vous exagérez les vôtres comme à plaisir. Il vous coûterait moins de vous tuer que d’avouer à présent que vous vous êtes affolé pour rien. Vous êtes vaniteux. Toutes les passions peuvent mettre un jour le revolver en main, mais à la fin du compte, c’est la vanité qui tue. Si j’étais vaniteux, je serais mort depuis longtemps. Notez encore qu’après tout, vous ne vous tuerez peut-être pas, vous êtes libre. Seulement, j’ai lu ça sur votre visage, dès votre premier pas dans ma chambre.

Chacun de ces mots, chargés de substance, venait frapper, l’un après l’autre, avec une horrible précision, le même point de la conscience, et l’angoisse de Pernichon s’en trouvait comme engourdie. En dépit d’un premier mouvement de terreur, il avait écouté cet aveu de sa profonde et secrète pensée, fait par une