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L’IMPOSTURE

toujours fixé sur le sien la réclamait impérieusement, mais il n’osait pas la donner.

— Dites-moi ce que vous voulez, allons donc ! fit M. Guérou. Je me doute bien que vous n’êtes pas venu ici pour me présenter seulement des excuses : j’en ai déjà tant reçu ! Mais on me fait rarement l’hommage d’une douleur sincère, ingénue, sans détours — enfin, si j’ose parler ainsi — d’une douleur vierge, vierge comme l’or… Je vous sens profondément malheureux.

Sa voix s’embarrassa sur les derniers mots, et il reprit péniblement son souffle à petits coups.

— Ce que je viens de dire ressemble à une plaisanterie, une forfanterie un peu cynique. Ne le croyez pas ! La souffrance d’autrui ne peut plus rien pour moi, absolument rien… Ce sont des bêtises d’envieux. Car j’ai encore des envieux, moi ! (Il souleva pesamment son torse.) Vous voyez : on ne décourage pas l’envie.

— Maître, balbutia Pernichon, ce que j’attends de votre bonté…

— Ne me parlez pas de bonté ! s’écria M. Guérou. Vous êtes venu à moi… (mais si ! je le sais…) plein de préjugés, en désespoir de cause. Parions même que Ludovic vous y a poussé, hein ? Je devrais dire Mgr l’évêque de Paumiers, mon vieux camarade de Normale, quel imbécile ! Jeune homme, c’est sans doute une loi de ma nature : le prêtre médiocre exerce sur moi une espèce de fascination. Cela réveille en moi un appétit. Cela excite encore une cervelle qui n’est probablement plus qu’une petite pelote de graisse. Je parle du prêtre médiocre, car sitôt évadés, rendus