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L’IMPOSTURE

la honte. Et pourtant, si féroce qu’elle fût, la curiosité de M. Guérou touchait inexplicablement son cœur… Il eût voulu le remercier.

— Je ne plaisante pas ! continua l’auteur de Mécène, comme s’il lisait dans le pauvre regard plein de larmes, je sais très bien qu’il faut faire la part du hasard, des circonstances… Votre mérite n’en est pas moins grand. Ne vous y trompez pas, mon cher jeune confrère. Le coup a été rudement porté. Achèverez-vous votre homme, oui ou non ? Vous voyez que je parle franchement.

— L’achever, maître ! dit Pernichon. Vous vous moquez de moi ? Je voulais justement… Enfin, je n’ai pas de haine contre M. Catani, et il me serait d’ailleurs bien difficile de lui faire aucun tort sérieux.

— Aucun tort ? Aucun tort sérieux… Qu’en savez-vous ? Une seule parole peut tout, pourvu qu’elle soit dite à propos… Entre nous, mon ami, les gens ne redoutent que le scandale. Quiconque est réduit par l’injustice au désespoir a toujours cette ressource-là ! Il est vrai que l’hypocrisie universelle est solide : pour la faire sauter, il faut une rude charge de poudre, et quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, le sapeur saute avec sa mine.

— Je voulais… c’est pourquoi je voulais justement… répéta Pernichon.

Puis il s’arrêta, étranglé par l’angoisse. Sûr d’avoir été deviné, il ne se sentait néanmoins plus le courage d’avouer sa faiblesse ; il savait qu’on attendait désormais de lui qu’il la montrât, qu’il la livrât sans pudeur… Elle était là, elle était prête, et le regard qu’il sentait