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L’IMPOSTURE

convenante, conclut l’excellent prélat… Il me paraît indispensable que vous alliez d’abord lui présenter vos excuses, et le plus tôt sera le mieux… Vous avez là une excellente entrée en matière… Pour le reste, mon cher enfant, je m’en fie à votre naturelle droiture, à votre intelligence, à votre tact…

Il lui prit une dernière fois les deux mains, les serra de toutes ses forces, et disparut sous le porche vide et sonore, avec un parfum de verveine et d’encens.

L’Auvergnat descendit rapidement la rue. D’ailleurs, il n’allait nulle part : le nom même de M. Guérou avait traversé son cerveau sans laisser de traces. Il se sentait merveilleusement vide. Depuis un moment, la présence de l’évêque de Paumiers lui était devenue, à son insu, intolérable. Son désespoir n’en était plus à chercher un confident, mais un complice, et ce complice était en lui. Ce qu’il emportait en fuyant, c’était cette pensée, qu’il tenait dans son misérable cœur, sans avoir encore osé l’affronter, qu’il pressait étroitement, de peur qu’elle ne s’échappât, ainsi qu’un chasseur en maraude serre sous sa blouse l’oiseau volé dont il sent frémir les ailes. La rapidité de sa course l’oppressait, mais son délire était tel qu’il fuyait cette oppression comme tout le reste, en hâtant le pas. Il finit par s’arrêter dans une rue déserte, à bout de forces. L’asphalte, tout à l’heure éclatant de blancheur, lui apparut noir et luisant. Il avait les épaules glacées. Pourquoi ? Pourquoi cette rue déserte et noire ? À cet instant, il s’aperçut qu’une averse l’avait trempé jusqu’aux os, et qu’il était devant la porte de M. Guérou.