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L’IMPOSTURE

Il lança devant lui sa main ouverte, saisit au passage le bras de l’évêque de Paumiers, inclina dessus son visage :

— Écoutez-moi ! fit-il.

Mais presque aussitôt sa bouche se referma si violemment qu’on entendit le claquement de ses mâchoires. Alors, il se mit à secouer la tête de haut en bas, lentement, plus lentement, ainsi qu’un homme cède au sommeil, puis son menton retomba tout à fait sur sa poitrine, et les paupières, qu’il avait tenues jusqu’à ce moment baissées, se levèrent, découvrirent peu à peu un regard fixe, trempé de larmes, et tout débordant d’un rêve que personne n’avait jamais vu. Un caillot de sang jaillit de sa gorge et tomba sur le tapis.

— Il va mourir ! cria Mme Jérôme.

— Taisez-vous donc ! dit Guérou. La mort n’est pas si facile : J’en sais quelque chose. Le voilà déjà beaucoup mieux. Écartez-vous ! C’était ce crachat qui l’étouffait.

Les couleurs revenaient en effet au front de M. Catani, qui, tout à coup, sans laisser paraître le plus léger embarras, mais avec une grande douceur :

— J’ai pu vous donner de l’inquiétude, fit-il. Les premières chaleurs m’incommodent énormément, et je dois me montrer plus vigilant qu’à l’ordinaire, à cette époque de l’année.

— Nous sommes guettés, Catani ! Nous sommes guettés ! cria M. Guérou d’un ton jovial. Pour vous et moi, chaque heure du jour est une embuscade, dont nous nous tirons de notre mieux. La pauvre carcasse n’en peut plus. Méfiance !…

— Je vais beaucoup mieux… beaucoup mieux…