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L’IMPOSTURE

révélation ne pouvait être aussi accablante en un tel lieu, devant de telles gens, et préparée avec tant d’art. Pernichon, qui l’attendait cependant, eut un gémissement horrible, une convulsion de tout son pauvre corps disgracié. Puis il éclata en sanglots.

— Vous les avez offerts ! Vous m’avez presque contraint de les recevoir ! Oui ! Il me disait que je devais quitter ma chambre garnie de l’hôtel Léon-XIII, m’installer convenablement, acheter des meubles. Que c’était un sacrifice à faire indispensable. Que le soin de ma carrière l’exigeait, qu’il était temps de m’imposer — bien d’autres raisons encore ! Je vous en prie ! Comprenez-moi ! La publication de mon enquête était décidée, le volume retenu par les éditions Fides, je m’étais engagé à rembourser avant la fin de cette année. Que risquait-il ? J’étais dans sa main. En la refermant, il me brisait. D’ailleurs… d’ailleurs mon entrée dans la famille de… du… Hé bien, oui, qu’importe ? Vous le savez tous ! — dans la famille Gidoux-Rigoumet m’aurait permis de lui être utile. Oui ! oui ! voilà dix ans que vous briguez la succession du comte de Verniers à la Revue de l’Univers !

— Quelle écume ! dit seulement M. Jérôme.

Alors la voix de M. Quérou s’éleva, cette voix grêle qui vibre dans son arrière-gorge, lorsqu’en pleine confusion, en plein désordre, délaissant une minute la mort attendue et urgente, il se dilate et s’épanouit :

— Permettez, jeune homme. Ce calcul n’a rien que de vraisemblable et de légitime de la part d’un écrivain dont nous savons qu’il a l’étoffe d’un homme d’État. Mais s’il est vrai qu’il a besoin de vous, pourquoi vous perdrait-il aujourd’hui ?