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L’IMPOSTURE

étaient venues se briser jusqu’à ce moment de plus fortes haines que celle du publiciste malchanceux. Du moins, ses anciens amis purent l’espérer. Une minuscule tache rose s’élargit un peu sur sa joue, et son mince visage, après un ou deux frémissements, s’immobilisa, terrible.

— Je ne cherche aucune revanche, dit-il. Je vous plains. Vous n’êtes pas mûr. Vous n’êtes pas mûr, voilà le mot. Quel fruit pensez-vous tirer de votre puérile agression ? Je crains au contraire qu’elle ne vous ait, ce soir, compromis inutilement. Qui ne préférerait un ennemi déclaré à un ami tel que vous ? Je ne vous pardonne pas, du moins ici, en public. Mon pardon, en un tel moment, achèverait de vous écraser sans apaiser, je l’espère, le trouble de votre conscience…

Un murmure d’admiration déchargea toutes les poitrines.

— Je connais les jeunes gens, je les aime, reprit-il avec un sourire d’agonie. Lorsqu’ils cèdent à une colère injuste, dès qu’on les voit perdre le sang-froid, le respect des aînés, d’eux-mêmes, et jusqu’au sentiment de leur propre intérêt, il y a cent à parier contre un qu’ils ne font que se venger ingénument sur autrui d’un remords généreux qui les travaille. Ils nous font porter le poids de leurs fautes. C’est qu’à cet âge une faute est lourde à porter ! On ne vit pas en paix avec elle ! Cher Pernichon !

Il avança drôlement la lèvre inférieure et passa dessus sa langue.

— Cher Pernichon, vous vous êtes perdu par trop de hâte à jouir de certains biens de ce monde. Vous