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L’IMPOSTURE

homme qui semblait en éprouver un soulagement infini.)

M. Pernichon rédige la chronique religieuse d’une feuille radicale, subventionnée par un financier conservateur, à des fins socialistes. Ce qu’il a d’âme s’épanouit dans cette triple équivoque, et il en épuise la honte substantielle, avec la patience et l’industrie de l’insecte. Presque inconnue aux bureaux de l’Aurore nouvelle, sa silhouette déjà usée, maléfique, encore déformée par une boiterie, est la plus familière à ce public si particulier d’écrivains sans livres, de journalistes sans journaux, de prélats sans diocèse, qui vit en marge de l’Église, de la Politique, du Monde et de l’Académie, d’ailleurs si pressé de se vendre que l’offre restant trop souvent supérieure à la demande, l’âpre commerce est sans cesse menacé d’un avilissement des prix. Telle crise, une fois dénouée, quand on l’a vue se multiplier jusqu’au pullulement, la denrée périssable, désormais sans valeur, achève de pourrir dans les antichambres.

Ancien élève du petit séminaire de Notre-Dame des Champs, jouant jusqu’au dernier jour la comédie à demi consciente d’une vocation sacerdotale, sitôt le cap franchi d’un baccalauréat hasardeux, on perdit sa trace un long temps, jusqu’à ce moment décisif où il obtint de signer chaque semaine, dans un Bulletin paroissial, des nouvelles édifiantes, puis des « lettres de Rome » rédigées chez un petit traiteur de la rue Jacob. Quel autre que lui eût semblablement tiré parti de ce rôle obscur ? Mais il sait épargner sou par sou sa future renommée, pareil à ses ancêtres auvergnats qui, l’été, graissant de leur sueur une terre