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L’IMPOSTURE

un certain accord indispensable, un certain rythme, que soient observées du moins certaines règles mystérieuses auxquelles leur faiblesse se conforme d’instinct. Leur petite société artificielle vit et prospère en vase clos, et les passions qui s’y développent, si violentes qu’on les suppose, ne s’y expriment qu’en signes conventionnels, sont soumises à un contrôle sévère, à une discipline formelle qui en modifie rapidement le caractère et les symptômes. À la longue, rien ne ressemble moins à un vice ouvert, intrépide, que le même vice transformé par une dissimulation nécessaire, cultivé en profondeur. On peut faire cette observation partout, mais jamais plus utilement que parmi ces hommes singuliers qui vivent à distance égale du monde religieux et du monde politique pour s’entremettre patiemment, diligemment entre l’un et l’autre, maintenus dans l’ombre par la nature même de leurs manœuvres toujours secrètes, intermédiaires officieux et sans cesse désavoués, esclaves-nés des circonstances et des conjonctures, démagogues honteux, orthodoxes suspects, n’ayant rien en propre, ni la doctrine qu’ils empruntent naïvement aux partis triomphants, ni même le langage, calqué bizarrement sur le style des rapports et des mandements, avec ce tour impayable qu’une certaine littérature a propagé dans le monde. De servir une ambition démesurée, une envie exaltée jusqu’à la haine maladive du genre humain sous les apparences sacrilèges du zèle apostolique, quelle gageure ! Quelle entreprise à déraciner les âmes ! Comment ne pas prendre en pitié ces misérables que l’hypocrisie professionnelle, parfois presque inconsciente, a rendus si sensibles à l’air du dehors, au moindre choc, qui ne