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L’IMPOSTURE

tible fissure, toute âme inquiète et défaillante est immédiatement discernée, comme aperçue du haut des airs, et sa curiosité plonge dessus. Curiosité si pénétrante, si avide que le malheureux qu’elle éprouve en subit malgré lui la contagion, comme ces femmes dont la sensualité s’émeut, dès qu’elles approchent, sans le savoir, d’un désir fixe et secret.

À ces indulgentes paroles, le trouble de M. Pernichon s’accrut, et le cercle parut se resserrer autour de lui, dans une espèce d’agitation silencieuse.

— J’ai pris à regret cette décision, et j’aurais voulu… il eût été préférable de garder le silence… si je n’avais eu des raisons de craindre que mon changement… mon changement d’attitude… à l’égard d’un maître toujours vénéré ne risquât d’être interprété maladroitement… défavorablement… une certaine médisance… peut-être…

— De tels scrupules perdent la jeunesse, dit à l’autre bout du salon une voix très douce. La vie est indulgente, elle arrange tout, il suffit de se servir d’elle avec ménagement, ainsi qu’on utilise un explosif dangereux, non pour creuser d’un coup la mine, mais pour détruire un par un les obstacles qu’on ne peut réduire par le pic ou la pioche… Permettez-moi de vous le dire avec la simplicité d’un homme de mon âge, qui n’a que de la sympathie pour un jeune confrère bien doué, ardent au bien, et d’une ambition légitime. Depuis quelque temps, mon cher Pernichon, je déplore certaines imprudences — d’ailleurs vénielles — disons certaines démarches imprudentes — qui s’accordent mal avec ce que nous savions de vous, de votre modération, de votre tenue, de votre précoce maturité.